En lisant les commentaires qui nous sont défavorables, il y a un argument qui revient très souvent: 80% des gens veulent que ce projet aille de l’avant tel quel, donc la démocratie a parlé : cessez vos agissements. Pour citer un commentaire récent:
Une majorité sans nom de députés a voté en faveur de la loi 204, une majorité claire de la population a voté en faveur de la loi 204.
Cette conception de la démocratie est commune mais incomplète. Déjà dans l’antiquité Aristote en distinguant différentes formes de démocratie écrivait:
Une cinquième espèce […] transporte la souveraineté à la multitude, qui remplace la loi. C’est qu’alors ce sont les décrets populaires, et non plus la loi, qui décident. Ceci se fait, grâce à l’influence des démagogues. En effet, dans les démocraties où la loi gouverne, il n’y a point de démagogues; et les citoyens les plus respectés ont la direction des affaires. Les démagogues ne se montrent que là où la loi a perdu la souveraineté. Le peuple alors est un vrai monarque […] Dès que le peuple est monarque, il prétend agir en monarque, parce qu’il rejette le joug de la loi, et il se fait despote; aussi, les flatteurs sont-ils bientôt en honneur.
Un peu plus de 2 300 ans plus tard, la Cour suprême du Canada dans le Renvoi relatif à la sécession du Québec écrivait:
Il est vrai, bien sûr, que la démocratie exprime la volonté souveraine du peuple. Pourtant cette expression doit aussi être considérée dans le contexte des autres valeurs institutionnelles que nous estimons pertinentes dans ce renvoi. […] Un système politique doit aussi avoir une légitimité, ce qui exige, dans notre culture politique, une interaction de la primauté du droit et du principe démocratique. Le système doit pouvoir refléter les aspirations de la population. Il y a plus encore. La légitimité de nos lois repose aussi sur un appel aux valeurs morales dont beaucoup sont enchâssées dans notre structure constitutionnelle. Ce serait une grave erreur d’assimiler la légitimité à la seule «volonté souveraine» ou à la seule règle de la majorité, à l’exclusion d’autres valeurs constitutionnelles.
Il est clair que cette tension entre la règle de la majorité et l’ordre établi par l’ensemble des lois est ancienne et fondamentale dans les affaires humaines. La Cour suprême dans le même renvoi écrivait:
À son niveau le plus élémentaire, le principe de la primauté du droit assure aux citoyens et résidents une société stable, prévisible et ordonnée où mener leurs activités. Elle fournit aux personnes un rempart contre l’arbitraire de l’État.
Voilà où nous en sommes. Le maire a violé sciemment plusieurs lois et devant la certitude de la condamnation judiciaire il a fait voter une loi pour essayer de s’en protéger. En bon démagogue il a qualifié ses incartades de « innovations » pour palier à des « trous » dans la loi.
Je demeure persuadé que si nous avions révélé les illégalités des actions de la Ville dans le contexte de l’octroi d’un contrat de 400 millions de rénovation d’égouts, de nombreuses personnes qui sont présentement contre notre démarche l’appuieraient, n’étant pas dans ce cas là aveuglées par leur crainte que l’on nuise au retour d’une équipe de la LNH.
Le pouvoir est tripartite: législatif, exécutif et judiciaire. Les tyrans soumettent tout au pouvoir exécutif en faisant voter des lois injustes et en s’assurant que les cours de justice ne les désavoueront pas. Nous vivons dans une démocratie qui garde les pouvoirs séparés, chacun souverain dans son domaine. Devant l’arbitraire de l’exécutif et du législatif dans ce cas particulier, nous nous tournons vers le judiciaire comme rempart ultime pour le citoyen.